Le jardin traverse l’histoire des civilisations et opère un lien entre des cultures étrangères les unes aux autres par un même jeu sur les références mythiques et une même recherche d’une élaboration artistique de la nature. Espace marqué par la dualité, il est à la fois en site géographique réel et un espace où sont convoquées toutes les références mythologiques, symboliques et idéologiques de la civilisation qui le fait naître. Le jardin en effet n’est pas la nature, mais une représentation de la nature, et plus particulièrement de la relation que l’homme entretient avec la nature. C’est la raison pour laquelle il ne se confond pas avec la notion, voisine, mais dont l’apparition est beaucoup plus tardive, de paysage. Lieu de mémoire, il est pourtant, et c’est là son paradoxe, un art éphémère, qui bien souvent, n’est plus accessible que dans l’art et la littérature.
Le jardin a continuellement suscité l’intérêt des voyageurs, des romanciers, des poètes, et même des dramaturges. Lieu culturel par excellence, il est source de mythes, de références, d’intertextualité implicite ; il est également un point central des spécificités esthétiques des divers mouvements littéraires et culturels

Le jardin, entre mythe des origines et mythes de la fertilité
Le jardin dans la mythologie antique
La double dimension mythologique des jardins des origines se retrouve dans la mythologie antique. La Théogonie d’Hésiode nous propose ainsi une vision de l’univers primordial qui donne naissance à Aphrodite et dans le même temps au mythe de Cythère.
La mythologie grecque abonde en jardins idéaux. Il s’agit de Bois sacrés, lieux naturels béni des dieux, où la nature, non entretenue, est plaisante et féconde. Les plus célèbres sont l’Arcadie, le jardin des Hespérides et les roseraies du roi Midas.
Certaines divinités permettent également de lier ce lieu idéal aux mythes de la fertilité. C’est le cas de la déesse romaine Flore, qu’Ovide rattache à la nymphe grecque Chloris. Selon Ovide également, Flore serait à l’origine de la naissance de Mars. Suite à la naissance de Minerve, jaillie de la tête de Jupiter, Junon aurait également voulu donner le jour seule. Flore lui donna alors une fleur qui la rendit féconde.

Le jardin d’Eden et les jardins bibliques
Référence fondamentale de la culture occidentale, le jardin d’Eden se présente sous une double dimension : lieu du paradis sur terre et lieu de la faute d’Adam et Eve. Ce mythe des origines présente un jardin idéal, qui est également un lieu de fertilité : Adam et Eve devaient « cultiver et garder » le jardin d’Eden. Cependant deux interprétations de la faute verront le jour, celle, conforme à la doctrine chrétienne, de la Chute et de la Rédemption et celle, plus moderne, de la liberté d’Adam et Eve et de leur volonté d’ouvrir le processus de la connaissance, de mettre en marche le temps.
D’autres textes de l’Ancien Testament jouent également un rôle primordial dans la figure du jardin : le Psaume 104 et le Cantique des Cantiques, si important pour l’esthétique et l’idéologie médiévale du jardin de l’âme et du clos marial.Enfin le Nouveau Testament propose deux jardins qui influencent également la littérature : le jardin des oliviers et le jardin de Pâques où le Christ, sorti du tombeau, apparaît à Marie-Madeleine sous l’apparence d’un jardinier.
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Du lieu réel au lieu imaginaire
Le jardin littéraire comme lieu réel, ancré dans les conceptions estétiques de l'époque
Le jardin littéraire, lieu culturel et symbolique, reflète cependant les conceptions esthétiques dans lesquelles il voit le jour. En cela il est étroitement lié aux jardins réels de l’époque, dont il est une trace, et parfois la seule.
On peut ainsi comparer les représentations littéraires et iconographiques aux vestiges, parfois disparus et parfois toujours vivants, des jardins des époques passées pour en cerner l’esthétique. Les textes et les œuvres d’art permettent ainsi de découvrir les étapes majeures de l’évolution de l’esthétique des jardins au cours des siècles :

Moyen-Age : Le jardin clos hortus conclusus, jardin d’Eden reflet de l’âme ou jardin de l’amour courtois, hortus deliciarum.
Renaissance : Le retour à l’idéal esthétique et intellectuel de l’Antiquité et l’affirmation de l’idée d’harmonie qui s’exprime à travers l’architecture et l’importance du tracé.
L’âge baroque : Le jardin devient un art en expansion, grâce aux jeux sur les perspectives qui soulignent l’importance du mouvement et créent un monde d’illusions d’optique.

L’époque classique : Le jardin « à la française » du siècle de Louis XIV s’impose, transformant le paysage en une œuvre d’art équilibrée et contrôlée, expression d’une domination totale sur la nature.
Le XVIIIème siècle : Redécouverte de la nature et retour au paysage arcadien de la mythologie antique à travers le « jardin paysager », ou jardin « à l’anglaise »
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La révolution industrielle et ses bouleversements : apparitions de nouvelles formes de jardins, le jardin public, les parcs urbains, les serres et leurs plantes exotiques.L’espace clos du jardin face à l’espace ouvert de la natureLe jardin comme lieu coupé du monde : un lieu clos à travers lequel s’exprime une autre nature
A l’image du jardin d’Eden, le jardin médiéval est clos. Il représente une nature humanisée et symbolique. Le jardin clos, l’hortus conclusus, est identifié, à partir du Cantique des Cantiques en particulier, à l’Eglise, à Marie, puis à l’âme du fidèle qui est le véritable jardin secret dont parle « l’Epoux » biblique.Le jardin d’amour ou hortus deliciarum repose sur la même clôture, symbole d’une nature humanisée et idéale : il est le lieu de l’expression allégorique de l’idéal courtois.
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Du jardin au paysage : la naissance d’une nouvelle esthétique de la nature à travers l’émergence de la notion de sublime
La vogue du « jardin anglais » ouvre une nouvelle conception du jardin et de la nature. Avec Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, la description s’ouvre à de nouveaux paysages, la montagne, la mer, qui vont bouleverser l’esthétique des paysages romantiques.
La description ne se limite plus à la nature humanisée que représente le jardin, et laisse place à la nature sauvage et sublime qui apparaît comme un nouvel objet esthétique.
L’homme au jardin
L’homme jardinier, nouveau démiurge. Le premier jardinier de la Bible est Dieu, qui crée le jardin d’Eden, figure à laquelle s’apparente également le Christ, qui apparaît à Marie-Madeleine, lors de sa Résurrection, sous l’apparence d’un jardinier.Lié aux mythes des origines, le jardin est lié à l’organisation du monde par Dieu. De même, l’homme jardinier, à l’image de Dieu, transforme le chaos en cosmos. Par son travail, l’architecte des jardins joue le rôle de l’ordonnateur, d’un démiurge. Il agit comme une force capable de séparer les éléments, de fixer les pôles de l’orientation.
Ainsi, Le Nôtre fait descendre le soleil dans ses miroirs d’eau.Le jardin comme ouverture au mondeLe jardin botanique se veut synthèse des plantes découvertes lors des voyages lointains. Cette importance des plantes exotiques apparaît dès les voyages au Nouveau Monde du XVIème siècle, mais revêt une importance capitale dans les serres du XIXème siècle.
Ecologie et biodiversité
Aujourd'hui, plus que jamais, les aspirations de toute une société se retrouvent dans l'esprit de la nature. Une des tendances actuelles est bien l'écologie : le jardin est avant tout un retour à la nature, le côté sauvage devenant finalement aussi important que le côté esthétique.

Le jardinier intervient pour orienter l'activité des plantes, faire des choix, guider le regard. La différence entre bonnes et mauvaises herbes s'estompe; l'utilisation de plantes sauvages s'impose; c'est le royaume des graminées et ombellifères.
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